Re: Le futur de la langue française [Was: Re: [EGD-discu] point médian vs. point d’hyphénation] |
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Le vendredi 2 juillet 2021, 08:05:44 CEST Julien Blanc a écrit :
> Le jeudi 01 juillet 2021 à 23:03 +0200, Alexandre Garreau a écrit :
>
>
> Je vais faire court et répondre juste sur deux points qui me semblent
> important, sur le reste de toute façon je ne crois pas que je
> convaincrai qui que ce soit, les gens ont des avis très tranchés ici,
> et ce sujet est de toute façon très clivant (de manière assez ironique
> pour une écriture « inclusive »).
Pour ça que je préfère parler de féminisation, c’est les médias qui ont
inventé ce terme… probablement pour le rendre plus acceptable et
« neutre » justement
> > Non. L’objet d’une science précède cette dernière. Les langues
> > évoluent
> > naturellement, et pas besoin de linguistique pour ça. Quand
> > l’espéranto a
> > été inventé, la linguistique n’existait pas, par exemple.
>
> Un peu péremptoire comme affirmation.
que les langues n’ont pas besoin de discipline scientifique pour évoluer ?
alors qu’elles précèdent probablement de peu notre espèce (j’imagine que
ça a dû venir autour d’erectus), et que la *science*, au sens moderne
(matérialiste, parcimonieux, etc.), est une invention récente (pour
laquelle faut au moins attendre les lumières, kant, etc.) ?
non je crois que c’est le contraire qui serait péremptoire
> https://fr.wikipedia.org/wiki/Soci%C3%A9t%C3%A9_de_linguistique_de_Paris
Ça me semble davantage une association de latinistes et philologues que de
linguistes. D’ailleurs c’est confirmé si on suit le lien « linguistique »
sur cette page, qui précise bien que la « linguistique » en tant que
science date du… XXe, avec de Saussure, exactement comme je disais.
C’est d’ailleurs parmi les premiers trucs qu’on apprend en faculté de
linguistique à l’université, on vous rebat les oreilles avec Saussure
comme pas possible :o
Bref, attention à éviter les anachronismes… d’ailleurs cette page est même
pas mentionnée sur la page sur la linguistique… où l’as-tu trouvée ?
> nous donne une date de création en 1864, soit avant la création de
> l’esperanto. Je pense qu’on peut raisonnablement dire que Zamenhof
> était lui-même linguiste (même si sa profession était médecin,
> linguiste ça ne nourrissait probablement pas son homme à l’époque).
Si on veut, mais alors au sens américain, pas européen. En anglais
« linguiste » désigne tout métier qui a trait aux langues, y compris,
typiquement, la traduction (les traducteurs de l’armée sont payés comme
« linguistes »). En français, désormais, ce sens est beaucoup plus
réstreint, et ne concerne que l’étude scientifique de la linguistique.
Donc, comme pour les autres sciences, le genre de chose où l’on s’attend
avoir été à l’université pour ça, et *au minimum* où l’on publie dans des
revues à comité de lecture. Sinon c’est pas de la science au sens
moderne.
C’est d’ailleurs un reproche régulièrement fait à l’espéranto d’avoir été
inventé *avant* la linguistique. À l’époque, la phonologie n’existait
pas, la sémiologie non plus, pas d’étude systématique et internationale de
la syntaxe, pas de linguistique comparée, pas d’arbre d’origine des
langues… il a fallu un long moment avant d’établir un consensus
scientifique là-dessus ! surtout que toute la fin du XXe sur ce plan a été
dominé par la prévalence des thèses racistes (pseudoscientifiques donc) qui
occultaient tout le reste et ont empêché le développement d’une vraie
science internationale là-dessus u.u
> > Sans science, on fait quand même des trucs, ça a quand même des
> > effets, le monde continue de tourner. La pesanteur continue de
> > s’appliquer sans science physique, qui ne modifie pas les lois mais
> > ne fait que décrire.
> >
> > C’est totalement possible de bidouiller n’importe comment pour
> > obtenir des résultats par tâtonnement, ça s’appelle de l’empirisme,
> > c’est inné chez l’être humain, et la seule chose qui sépare ça de «
> > recréer de la science par soi-même » c’est la mise par écrit et la
> > revue internationale par les pairs
>
> L’empirisme, c’est connaître le résultat d’une expérience parce qu’on
> (« on » au sens large, ça peut être quelqu’un d’autre) l’a déjà
> effectuée.
Ben non
Tiens regarde, vu qu’on en est à citer wikipédia :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Empirisme
L’empirisme c’est pas un synonyme de l’observation ou de la mémoire, c’est
considérer que tu peux inférer des lois générales sur le fonctionnement du
monde en l’observant.
L’empirisme c’est « observation -> connaissance ».
Et en fait l’empirisme est inné et naturel chez tous les humains, à toutes
les époques. C’est ce contre quoi Hypocrate met en garde dans son
serment, parce qu’un empiriste à l’époque c’est une espèce de chirurgien
qui fait « à l’instinct » d’« expérience », sans principes, sans discuter
de règles avec ses collègues, et sans se baser sur l’étude écrite.
Plus tard, on peut établir une séparation entre « vraie science » (au sens
moderne) et « le comportement instinctif et naturel de l’humain par
rapport à la connaissance », en ce que la première est une apparition
tardive liée à la démocratisation de l’écriture (consubstantielle à
l’invention de l’imprimerie, sans laquelle on ne peut avoir de vraie
science avec validation par les pairs, consensus scientifique mondial,
etc.), autrement la dernière ferait que toute connaissance est de la
science (ce qui constitue en effet l’étymologie de science, et est encore
présent dans des expressions populaires comme « ramener sa science » ou
n’importe quoi en « votre science »), et donc que rien n’est anti-
scientifique ou pseudo-scientifique.
Or il est très important, et c’est d’autant plus prégnant à l’époque
actuelle, de faire cette distinction, et de se renseigner sur
l’épistémologie et l’histoire des sciences
> La science, c’est être capable de prédire le résultat d’une
> expérience avant de l’avoir effectuée, parce qu’on a une théorie qui
> permet d’expliquer le résultat (qu’on confronte ensuite à la réalité).
Pas que, ça peut aussi de prédire du déjà existant, mais qu’on ignore
encore (ou pas ! ça peut être utile pour vérifier)
Plus généralement, la science c’est comprendre et décrire (abstraitement,
de la façon la plus globale et cohérente possible), c’est plus grand que
de la simple prédiction. La météorologie prédit mal par exemple, la
géologie aussi, sans parler des sciences humaines (dont la linguistique
fait partie !)…
Après oui on peut émettre des doutes quant au fait que la géologie soit
une science, c’est vrai
> La mise par écrit, c’est pour la postérité, et la revue par les pairs,
> juste un moyen permettant de garantir un niveau de qualité minimum
> (mais on voit dans certaines disciplines que ce minimum est très bas).
C’est pas juste « pour la postérité », c’est aussi essentiel à la science
que la reproductibilité, la transparence ou le rationalisme !
> Du coup, quand on touche à quelque chose d’aussi fondamental que la
> langue, avoir quelques théories sur les effets que peuvent avoir des
> modifications qu’on veut apporter, ça me paraît une bonne idée.
Ça peut faire gagner du temps j’imagine. Le fait est que les sciences
humaines sont assez limitées de ce point de vue. Je veux dire… tu connais
les théories dominantes en sociologie, avant d’essayer d’interagir avec
des gens ? et sur la neuropsychologie, avant de réfléchir ?
Surtout que ces sciences ont une capacité prédictive assez faible…
> Bidouiller par tâtonnements, en ignorant sciemment les avis de tous
> ceux qui ont étudié le sujet,
Mais ces avis sont pas ignorés, et ya des linguistes qui sont cités par
pas mal de promoteurs de l’écriture féminisée. J’ai même cité une étude
linguistique. Par contre toi tu l’as pas fait.
Rappelons également qu’une science ne peut pas être normatif. Une science
c’est descriptif. Si c’est normatif, et que ça prétend être une science,
alors c’est une pseudo-science
> et sans jamais soi-même confronter ses
> propres théories à la réalité
> […]
> ne me paraît pas super pertinent.
si les gens parlaient de l’écriture féminisée sans la tester et
l’appliquer, ça ferait beaucoup moins de bruit
> (je suis preneur de liens si quelqu’un a
> une étude du type « féminisation des mots : une analyse de l’effet sur
> l’évolution de la place de la femme » – un truc sérieux, hein, avec
> échantillons témoin, etc.),
Mais je l’ai fait dans mon précédent mail !
> Donc non, la science, c’est pas juste « la mise par écrit et la revue
> internationale », et entendre un discours où en substance je comprends
> « on peut faire n’importe quoi la science on s’en fout » (ce n’était
> peut-être pas exactement le propos, mais ce que j’en ai compris s’en
> rapproche beaucoup), ça me hérisse.
T’as pas bien compris quand je parlais d’épistémologie, d’empirisme, de
matérialisme et de parcimonie alors
Par contre ce que je dis entre autres, et c’est une conséquence du
matérialisme, c’est que la science peut s’appliquer à tout, et que tout le
monde peut faire de la science soi-même. La seule chose nécessaire, c’est
la reproductibilité + la revue par les pairs + l’empirisme (déjà naturel)
+ le matérialisme (également, même si souvent à mal) + le principe de
parcimonie (plus connu sous le nom de rasoir d’okham) + le réalisme
scientifique + le doute systémique, et ces quatres derniers points fondent
d’ailleurs les 4 piliers de la démarche scientifique u.u
Tiens voilà une introduction à l’épistémologie scientifique (celle par
laquelle a débuté mon intérêt pour l’épistémologie) :
https://fadrienn.irlnc.org/articles/sciences/science_mode_demploi/
> La science, c’est aussi et surtout une remise en question permanente
> quand la réalité ne colle pas aux théories, et sur ce sujet ça manque
> malheureusement beaucoup...
Pas vraiment, l’article que j’ai posté en premier en étant d’ailleurs un
bon exemple, en revanche toi tu remets pas grand chose en question :/
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