Contribution d’Yves Neuville
Docteur
ès sciences, docteur en Informatique
Ancien
Président fondateur du JTC1 SC35
Ancien Président du
SC35 WG 1 sur les claviers ainsi que des comités Afnor
correspondants
Contrairement à diverses affirmations,
il y a eu de très importantes activités et
expérimentations scientifiques dans le domaine de la
normalisation des claviers tant sur le plan national
pour la disposition AZERTY qu’international (série ISO/IEC
JTC1 SC35 9995) et notamment de 1985 à nos jours avec
le soutien de l’Afnor et de la DGLFLF.
Il est donc regrettable qu’une étude
sous l’égide de l’Afnor, que j’ai eu l’honneur de mener
en 1985, financée en partie par des fonds publics et
donc par le contribuable, organisée par le Ministère de
l’Industrie et l’Agence Nationale d’Amélioration des
Conditions de Travail, n’est, contrairement à tous les
usages, absolument pas évoquée dans les annexes et,
ayant été publiée comme ouvrage, n’a même pas été citée
dans la bibliographie. Or elle a réuni pour des
observations et expérimentations méthodiques environ 300
professionnels de multiples activités et utilisateurs à
différents niveaux de la bureautique et de
l’informatique. Elle s’est déroulée sur leurs lieux de
travail durant six mois pleins et selon les méthodes de
l’analyse du travail. Elle a ainsi permis de dégager des
propositions très précises d’amélioration des claviers
bureautiques en France (AZERTY notamment) ou à
l’international, et elle est en grande partie à
l’origine de la série de normes ISO/IEC 9995.
De même, l’expérimentation nationale
financée par le Ministère de l’Éducation Nationale et
que j’ai organisée sous contrôle de l’Inspection
générale dans 100 lycées volontaires de 1990 à 1995,
comme ses résultats, n’apparaissent pas. Le MEN a ainsi
décidé la fabrication et l’achat de 300 claviers
Neuville expérimentaux. Les expérimentations
rigoureuses, menées notamment avec chronométrage
informatique au 100e de seconde et des
observateurs sur chaque poste de travail, en ont permis
une véritable exploitation scientifique. Ses conclusions
m’ont ainsi donné matière à la rédaction d’une thèse de
350 pages, soutenue sous la présidence de Jacques ARSAC,
Académicien des sciences, informaticien, avec comme
rapporteur Jean-Claude SPERANDIO de l’Université
Paris-Descartes, alors Président du Congrès mondial
d’ergonomie IEA, et comme Directeur de thèse Michel
CHEIN du LIRM. Cette thèse d’accès public n’est pas plus
mentionnée, alors qu’elle a permis de vérifier à grande
échelle l’efficacité opérationnelle des principes du
clavier Neuville rationnel.
Or il se trouve que la disposition
présentée par le projet pour le clavier AZERTY reprend
de manière évidente les grandes lignes et certains
principes fondamentaux du clavier Neuville rationnel,
sans même le dire.
Sont notamment dans ce cas la première
ligne de minuscules accentuées, le point en minuscule
selon les recommandations chiffrées de mon livre, un peu
partout des symétries mnémoniques en opposition pour la
ponctuation, les symboles informatiques ou spéciaux, la
touche monétaire, l’idée générale de conservation
provisoire ou non de l’AZERTY modernisé pour tenir
compte des nouveaux usages et faciliter les transitions,
plus quelques autres éléments épars.
Mais il s’agit malencontreusement
surtout d’une version de clavier Neuville limitée,
réduite et très affaiblie du point de vue de
l’efficacité et du confort de l’utilisateur car n’allant
pas jusqu’au bout de l’ensemble des principes logiques
ayant présidé à la conception originale.
En effet, le design du clavier Neuville
complet a intégré totalement l’analyse du travail des
utilisateurs. À partir de la constatation que 68% des
erreurs de frappe venaient de la nécessité de changer de
motion, tout a été fait pour l’éviter au mieux.
L’analyse fonctionnelle a permis, à
partir des trois types d’activités bureautiques et
informatiques principales, de regrouper trois modes de
frappe permettant d’éviter le changement de motion, et
de réduire de manière massive les efforts de
mémorisation et de formation ainsi que les erreurs de
frappe, principales causes de ralentissement en raison
des corrections nécessaires.
Résultat,
en traitement de texte on est en minuscules, la
ponctuation usuelle y étant regroupée.
En
comptabilité, finances, mathématiques, statistiques, les
chiffres et symboles mathématiques sont en majuscules et
on reste en Shift Lock.
En
programmation on a une zone de regroupement à droite du
clavier et on est en Caps Lock de façon à avoir à la
fois symboles informatiques, lettres, ponctuation et
chiffres en accès direct.
Grâce à cette logique, on diminue les
efforts de mémorisation et la charge mentale, et on
gagne massivement en vitesse, fiabilité et confort de
l’utilisateur.
Par contre c’est un manque de logique
et d’orientation claire qui caractérise le projet actuel
et explique cette impression de saupoudrage hasardeux,
notamment à main droite, pour tout y mettre. D’ailleurs
une touche combinatoire pourrait diminuer positivement
cette inflation de symboles et de motions sources
d’erreurs supplémentaires (avec malheureusement 4
motions au lieu de 3) et faciliter la mémorisation.
En conséquence les insuffisances du/des
document/s soumis à enquête publique, ses divers délais
réduits à l’extrême, le manque de publicité claire sur
sa préparation et sa diffusion, l’insuffisance et
l’imprécision des documents soumis (quelquefois même
inadaptés), l’absence d’expérimentation sur le terrain
et de tests réels et précis, eu égard à l'importance
nationale et internationale de la question, devrait
incliner à une grande prudence dans une procédure
d’adoption expéditive, opaque et quasi référendaire pour
un tel sujet.
De plus, le document comporte de graves
lacunes qui ne seront pas sans influence sur le statut
et la qualité de la norme : absence de description du
contexte historique dans lequel ce projet de norme
s’insère, défaut de mention, d’analyse et de prise en
compte des importants travaux menés en France et dans le
monde sur le sujet qui sont tout à la faveur de l’Afnor,
de la DGLFF et des grands ministères concernés.
À la différence d’un projet de norme
ordinaire, ce document ne concerne pas un petit cercle
de spécialistes. Il concerne les utilisateurs français
de claviers alphanumériques, c’est-à-dire pratiquement
tous les citoyens et citoyennes francophones. Son
importance culturelle, économique et sociale revêt une
dimension européenne et internationale considérable et
représente une part
positive de rayonnement pour notre pays.
Au vu de ce qui précède, il y a grand
intérêt à se donner un délai supplémentaire d’au moins
6 mois pour améliorer le projet, combler les
insuffisances de la documentation présentée, et
permettre aux parties intéressées de s’exprimer
réellement à l’occasion de réunions plus ouvertes, de
tests en situation réelle et d’une consultation moins
binaire. L’hypothèse d’une norme seulement expérimentale
mériterait aussi d’être examinée.
J’en profite, n’ayant pas été associé
auparavant malgré mes efforts en ce sens, pour indiquer
bien sûr que je souhaite absolument pouvoir participer à
la réunion de dépouillement et à celles de natures
différentes à venir, être convoqué pour ce faire et
pouvoir ainsi contribuer à une issue positive pour ce
projet qui me tient à cœur.
Publications
dans le domaine :
[1] Yves NEUVILLE, Le clavier
bureautique et informatique, éditions Cedic-Nathan,
Paris, 1985, ISBN 2–7124-1705-4.
[2]
Yves NEUVILLE, Normalisation
prospective des claviers et multilinguisme, actes du
colloque Lexipraxi 90, A.I.L.F./M.R.T./E.N.S.T., Paris
1990.
[3] Bernard CHAUVOIS et Yves
NEUVILLE. Dossier interfaces homme-machine, la
normalisation des claviers bureautiques, revue
Normatique, N°60, Paris 1994.
[4] Yves NEUVILLE, Étude d'un
clavier informatique ergonomique. Thèse de doctorat,
Université de Montpellier II, 350 pages, 1995.
Identifiant : 95MON2277.
[5] Rapport technique
ISO/IEC TR 15440:2005,
Technologies de l’information — Claviers futurs, autres
dispositifs d’entrée associés et méthodes d’entrée
liées. Rédacteur
puis Éditeur Yves NEUVILLE